Comment les employeurs espionnent-ils les employés
Planqué derrière le volant de sa voiture aux vitres fumées, Eric attend discrètement, caméra à la main, la sortie de sa cible. Détective privé, il a été engagé par un entrepreneur afin de vérifier l’emploi du temps de l’un des travailleurs. L’homme est sous certificat médical depuis plusieurs mois et son patron le soupçonne d’avoir une activité parallèle. Il a tapé dans le mille. Le scénario ressemble à celui d’une banale série télé. Il est pourtant bien réel. Et, dans certains secteurs d’activité, les détectives privés sont particulièrement sollicités.
Depuis un peu plus de deux ans, le télétravail s’est fortement développé. Tenus à distance de leurs employés, les chefs d’entreprise sont-ils tentés de vérifier comment ils occupent leurs journées ? Ne profitent-ils pas de la distance pour procrastiner voire pour louer leurs services à un concurrent ? « Personnellement, je ne ressens pas de changement dans les types de missions à réaliser», commente Didier, président de l’association des détectives privés. «Quand le télétravailleur est chez lui », embraie le directeur de l’agence Bel, «il est impossible de vérifier ce qu’il fait. Le constat est impossible. Ce type de missions est irréalisable. »
La demande en est pourtant parfois faite. «Certaines personnes pensent être à la télé», s’amuse le détective. «Ils nous disent qu’on n’a qu’à engager un hacker pour entrer dans l’ordinateur de l’employé. Evidemment que c’est interdit. Même si on le faisait, cette preuve serait irrecevable, illégale. Et si on surveille l’employé pour constater qu’il va à la salle de sport ou en vacances, ça n’est pas un motif de licenciement. On doit pouvoir prouver qu’il preste pour un autre employeur dans le même secteur d’activité. »
Sans scrupule
Et c’est possible. Mais dans un domaine particulier : la construction. Le genre de missions qui occupent majoritairement Eric depuis deux ans. «Ça représente actuellement 80 % de mon emploi du temps», constate l’enquêteur. «Je suis contacté par des entrepreneurs dont certains ouvriers rentrent des certificats depuis six mois, voire un an. On me demande de vérifier s’ils sont réellement en incapacité de travailler car les présomptions sont fortes qu’ils prestent pour leur propre compte. Certains sont sans scrupule. Ils ont parfois leur propre page Facebook pour chercher des clients. Comme ils ont souvent une activité complémentaire hors des heures fournies à leur patron, ils ont du matériel et un véhicule. Ils travaillent dans la rénovation, la toiture ou l’installation de châssis. Il faut les mettre devant le fait accompli. »
L’essentiel des journées de Eric, ce sont des planques et des filatures. Pour les mener à bien, il a une Berline aux vitres teintées ainsi qu’une Renault Kangoo qu’il peut utiliser comme « sous-marin ». Il dispose aussi d’appareils-photos, d’une caméra et de talkies walkies car il travaille souvent en duo. «Des dossiers comme ceux de la construction sont souvent bouclés en deux ou trois jours», explique-t-il. « Pour être sûr que le travailleur triche, il faut que je constate deux fois l’infraction avant de rédiger un rapport. »
Les constats d’adultères et les conflits liés aux pensions alimentaires étant actuellement en forte baisse, l’autre secteur qui occupe Eric est celui des assurances. « Les compagnies nous engagent pour établir que leurs clients fraudent», détaille le détective. «Là aussi, ils sont souvent sans complexes. Ils fournissent de faux certificats établissant un accident et travaillent pour leur propre compte au noir. C’est très fréquent. »
De manière générale, les détectives s’accordent à dire que la période est compliquée pour eux. La baisse du pouvoir d’achat a un gros impact sur leur secteur. «Le public qui pourrait nous solliciter pour une enquête préfère attendre et faire le plein de son véhicule », déplore Yannick. Mais malgré ces difficultés, les enquêteurs ne sont pas prêts à faire n’importe quoi, à accepter n’importe quel dossier. « Je rejette 80 % des demandes », ajoute le détective. « Avant d’accepter, je pose beaucoup de questions et je demande des documents justifiant la demande. On nous demande parfois des choses totalement illégales ou irréalisables comme obtenir des mots de passe d’ordinateurs ou retrouver les auteurs d’arnaques sur internet au Cameroun. Les gens doivent savoir que dans 50 % des cas, notre travail permet d’innocenter des gens. Nous ne sommes pas uniquement là pour confondre, contrairement aux idées reçues… »