Comment Whatsapp compte vendre nos données personnelles

2021-01-29 0 By dporgpd

WhatsApp est bien connu dans le monde entier de­puis l’annonce, le 6 janvier, de sa nouvelle politique de données personnelles, la messagerie est pointée du doigt pour un aspect moins souvent mis en avant : son lien avec Facebook et ses efforts pour rentabiliser la plate­forme. C’est peu de dire que le message demandant aux utilisateurs de WhatsApp d’accepter les nouvelles clauses avant le 8 février a sus­ cité des réactions négatives.
Cer­tains ont eu l’impression que l’ap­plication, connue pour ses messa­ges chiffrés et son respect de la vie privée, avait décidé de partager toutes ses données avec Facebook, le géant de la publicité ciblée qui l’a rachetée en 2014.

D’ailleurs, l’af­faire a fait bondir les télécharge­ments de Signal, encouragés par un Tweet du fondateur de Tesla Elon Musk, vantant cette messa­gerie concurrente. Or, Signal a jus­tement été créé en 2018 par le fon­dateur de WhatsApp Brian Acton, qui avait claqué la porte de Face­ book pour désaccord sur la straté­gie de « monétisation ».

Depuis, Facebook s’est employé à éteindre l’incendie en assurant que son annonce a été mal com­ prise. « La mise à jour de notre po­litique n’a aucune incidence sur la confidentialité de vos messages avec vos amis ou votre famille », a insisté l’entreprise. WhatsApp ne connaît toujours pas le contenu de vos messages et de vos appels privés, ne conserve pas la liste de vos interlocuteurs et ne partage pas vos contacts avec Facebook. Le seul changement concerne « l’envoi de messages à une entre­prise » : si vous communiquez sur WhatsApp avec une société, le contenu de ces échanges, ainsi que vos éventuels achats, pourra être utilisé, notamment pour personnaliser des publicités sur Face­book ou Instagram.

Ecosystème unifié

Si le changement est limité, c’est aussi parce qu’en réalité What­sApp partage déjà des infos avec Facebook depuis 2016 : votre nu­méro de téléphone, votre temps d’usage, votre appareil… Soit bien plus que WhatsApp à ses origines ou que Signal.

Malgré la polémique, Facebook se veut serein : la semaine sui­vant l’annonce, Signal, qui avait une vingtaine de millions d’utili­sateurs selon App Annie, a été té­léchargé 8,8 millions de fois, se­lon l’institut d’études Sensor Tower. Son concurrent Telegram, prisé des partisans de Trump bannis de réseaux sociaux, a été installé 11,9 millions de fois. Cer­tes, le nombre de télécharge­ments de WhatsApp a baissé de 4 %, mais il est resté à 9,7 millions. Et le réseau affiche au total 2 mil­liards d’utilisateurs…

L’affaire met surtout en lumière la volonté de Facebook de rentabi­liser WhatsApp. La société n’avait pratiquement aucun revenu lors de son rachat pour 19 milliards de dollars. Et son abonnement à 1 dollar par an pour les gros utilisa­teurs a été abandonné par Face­book en 2016. Mais, depuis 2019, Mark Zuckerberg cherche à l’inté­grer, avec Facebook et Instagram, dans un écosystème unifié par une messagerie compatible. Pour les PME, Facebook et Instagram resteront des vecteurs de publicité et WhatsApp vendra des services de relation client, sous le nom de WhatsApp Business : envois de messages, exposition de catalo­gues, ventes en ligne… « Facebook et Instagram sont les vitrines, WhatsApp, c’est la caisse », a ré­sumé un des dirigeants de What­ sApp, Matt Idema, à Forbes. Ainsi, 175 millions d’utilisateurs enver­raient des messages à un compte WhatsApp Business chaque jour.

Fin 2020, Facebook a aussi ra­ cheté, pour 1 milliard de dollars, Kustomer, une start­up spéciali­sée dans la relation client et le service après­ vente. Et créé Face­book Shop, pour que les commer­çants mettent en ligne leur catalogue. Autre projet : le paiement. Novi, le porte­monnaie électro­nique de la devise numérique diem (ex­libra), lancée par Face­book, sera intégré aux réseaux maison. Et le paiement en ligne a été autorisé en Inde sur WhatsApp, qui cible aussi le Brésil. Et tous les pays émergents.

« WhatsApp pourrait devenir un pilier de la stratégie économique de Facebook, si le groupe s’y prend bien. La plate­forme pourrait ap­porter d’autres couches de services aux PME, qui sont les premiers an­nonceurs du groupe », estime l’analyste financier Brent Thill, de Jefferies, pour qui la polémique récente ne serait « qu’une petite bosse sur la route ».

Facebook devra quand même affronter les autorités, notam­ment aux Etats­Unis, où deux plaintes antitrust l’accusent d’avoir racheté WhatsApp et Instagram pour éliminer des con­currents. Menacé de démantèle­ment, Facebook rétorque que les autorités avaient autorisé ces ra­chats. Mais, a rappelé sur Twitter la juriste opposée aux monopo­les numériques Lina Khan, Zuc­kerberg avait promis de « ne rien changer à la façon dont WhatsApp utilise les données ». Sa récente annonce est un « énorme bras d’honneur aux autorités anti­-trust », a tweeté Roger McNamee, un investisseur critique du ré­seau social. Aux yeux des juges, l’intégration de WhatsApp à l’uni­vers de Facebook pourrait être un obstacle à un démantèlement. Ou une provocation.