Comment Whatsapp compte vendre nos données personnelles
WhatsApp est bien connu dans le monde entier depuis l’annonce, le 6 janvier, de sa nouvelle politique de données personnelles, la messagerie est pointée du doigt pour un aspect moins souvent mis en avant : son lien avec Facebook et ses efforts pour rentabiliser la plateforme. C’est peu de dire que le message demandant aux utilisateurs de WhatsApp d’accepter les nouvelles clauses avant le 8 février a sus cité des réactions négatives.
Certains ont eu l’impression que l’application, connue pour ses messages chiffrés et son respect de la vie privée, avait décidé de partager toutes ses données avec Facebook, le géant de la publicité ciblée qui l’a rachetée en 2014.
D’ailleurs, l’affaire a fait bondir les téléchargements de Signal, encouragés par un Tweet du fondateur de Tesla Elon Musk, vantant cette messagerie concurrente. Or, Signal a justement été créé en 2018 par le fondateur de WhatsApp Brian Acton, qui avait claqué la porte de Face book pour désaccord sur la stratégie de « monétisation ».
Depuis, Facebook s’est employé à éteindre l’incendie en assurant que son annonce a été mal com prise. « La mise à jour de notre politique n’a aucune incidence sur la confidentialité de vos messages avec vos amis ou votre famille », a insisté l’entreprise. WhatsApp ne connaît toujours pas le contenu de vos messages et de vos appels privés, ne conserve pas la liste de vos interlocuteurs et ne partage pas vos contacts avec Facebook. Le seul changement concerne « l’envoi de messages à une entreprise » : si vous communiquez sur WhatsApp avec une société, le contenu de ces échanges, ainsi que vos éventuels achats, pourra être utilisé, notamment pour personnaliser des publicités sur Facebook ou Instagram.
Ecosystème unifié
Si le changement est limité, c’est aussi parce qu’en réalité WhatsApp partage déjà des infos avec Facebook depuis 2016 : votre numéro de téléphone, votre temps d’usage, votre appareil… Soit bien plus que WhatsApp à ses origines ou que Signal.
Malgré la polémique, Facebook se veut serein : la semaine suivant l’annonce, Signal, qui avait une vingtaine de millions d’utilisateurs selon App Annie, a été téléchargé 8,8 millions de fois, selon l’institut d’études Sensor Tower. Son concurrent Telegram, prisé des partisans de Trump bannis de réseaux sociaux, a été installé 11,9 millions de fois. Certes, le nombre de téléchargements de WhatsApp a baissé de 4 %, mais il est resté à 9,7 millions. Et le réseau affiche au total 2 milliards d’utilisateurs…
L’affaire met surtout en lumière la volonté de Facebook de rentabiliser WhatsApp. La société n’avait pratiquement aucun revenu lors de son rachat pour 19 milliards de dollars. Et son abonnement à 1 dollar par an pour les gros utilisateurs a été abandonné par Facebook en 2016. Mais, depuis 2019, Mark Zuckerberg cherche à l’intégrer, avec Facebook et Instagram, dans un écosystème unifié par une messagerie compatible. Pour les PME, Facebook et Instagram resteront des vecteurs de publicité et WhatsApp vendra des services de relation client, sous le nom de WhatsApp Business : envois de messages, exposition de catalogues, ventes en ligne… « Facebook et Instagram sont les vitrines, WhatsApp, c’est la caisse », a résumé un des dirigeants de What sApp, Matt Idema, à Forbes. Ainsi, 175 millions d’utilisateurs enverraient des messages à un compte WhatsApp Business chaque jour.
Fin 2020, Facebook a aussi ra cheté, pour 1 milliard de dollars, Kustomer, une startup spécialisée dans la relation client et le service après vente. Et créé Facebook Shop, pour que les commerçants mettent en ligne leur catalogue. Autre projet : le paiement. Novi, le portemonnaie électronique de la devise numérique diem (exlibra), lancée par Facebook, sera intégré aux réseaux maison. Et le paiement en ligne a été autorisé en Inde sur WhatsApp, qui cible aussi le Brésil. Et tous les pays émergents.
« WhatsApp pourrait devenir un pilier de la stratégie économique de Facebook, si le groupe s’y prend bien. La plateforme pourrait apporter d’autres couches de services aux PME, qui sont les premiers annonceurs du groupe », estime l’analyste financier Brent Thill, de Jefferies, pour qui la polémique récente ne serait « qu’une petite bosse sur la route ».
Facebook devra quand même affronter les autorités, notamment aux EtatsUnis, où deux plaintes antitrust l’accusent d’avoir racheté WhatsApp et Instagram pour éliminer des concurrents. Menacé de démantèlement, Facebook rétorque que les autorités avaient autorisé ces rachats. Mais, a rappelé sur Twitter la juriste opposée aux monopoles numériques Lina Khan, Zuckerberg avait promis de « ne rien changer à la façon dont WhatsApp utilise les données ». Sa récente annonce est un « énorme bras d’honneur aux autorités anti-trust », a tweeté Roger McNamee, un investisseur critique du réseau social. Aux yeux des juges, l’intégration de WhatsApp à l’univers de Facebook pourrait être un obstacle à un démantèlement. Ou une provocation.