Contrôle des données: Pékin met la pression sur la «tech»
En sanctionnant Didi, le Uber chinois, le gouvernement signale qu’une introduction à Wall Street ne suffit pas à échapper à sa poigne dans sa campagne pour controler les geants de la tech et leurs données, Pekin na que faire des dommages collatereaux comme l’illustre la série d’annonces de l’Autorité chinoise de surveillance de la cybersécurité visant Didi, leader local de la com mande de taxis : ouverture d’une enquête, interdiction faite à la société d’accepter de nouveaux utilisateurs et consignes données aux plates formes d’applications de retirer Didi de leur offre.
Pour les investisseurs qui ont acheté des actions Didi lors de l’in troduction à Wall Street, le 30 juin, ce sont près d’un milliard de dollars (847 000 euros) qui se sont en volés en une semaine. Pour l’entreprise, c’est 17 milliards de dollars (14,4 milliards d’euros) de va leur qui sont partis en fumée. Si les détails des faits reprochés à Didi ne sont pas connus, outre un problème de « sécurité des données », le contexte montre une campagne délibérée de Pékin avec deux objectifs : contrôler les données des Chinois et punir les entreprises qui cherchent à s’introduire en Bourse aux EtatsUnis.
Jusqu’ici, on aurait pu croire que l’affaire concernait seulement Didi, mais, lundi 5 juillet, deux autres startup chinoises, qui ve naient de lever des fonds sur les marchés américains, étaient, à leur tour, visées par des enquêtes de l’agence chinoise de la cybersécurité.
En toile de fond, un conflit entre régulateurs chinois et américain au sujet des groupes chinois cotés aux Etats-Unis
Dix mois après l’annulation à la dernière minute de l’introduction à la Bourse de Shanghaï et d’Hong kong d’AntGroup, la filiale financière d’Alibaba, la pression sur les entreprises chinoises de technologie n’a pas baissé. Après la fintech, le régulateur s’est attaqué aux pratiques anticoncurrentielles, punissant notamment Alibaba d’une amende record de 18,2 milliards de yuans (2,3 milliards d’euros) et Didi d’une amende de 500 000 yuans. Depuis, la sécurité des données est devenue la priorité des autorités chinoises : en juin, une nouvelle loi de cybersécurité a été adoptée, qui renforce la protection des données, interdit leur utilisation à l’étranger, mais facilite leur accès par les autorités. « La Chine est en train de bâtir son système de sécurité des données.
C’est un processus en cours depuis 2017, mais jusqu’ici difficile à mettre en application : cela crée des problèmes pour le développement de l’intelligence artificielle et du big data, et pour les multinationales. Il y a une grande incertitude sur comment la Chine va appliquer ces règles, explique Martin Chorzempa, spécialiste de la Chine au Peterson Institute for International Economics. En parallèle, Pékin cherche à développer ses propres marchés financiers, donc il n’apprécie pas de voir ses entreprises innovantes entrer en Bourse aux EtatsUnis plutôt qu’à Shanghaï ou Hongkong, où il contrôle mieux le processus et les données. Ces deux tendances com binées expliquent cette campagne », analyse le chercheur.
Secrets d’Etat
En toile de fond, un conflit entre régulateurs chinois et américain au sujet des groupes chinois cotés aux EtatsUnis. En effet, pour protéger ses investisseurs, Washington veut avoir accès aux audits des entreprises, mais Pékin, qui ne cesse d’élargir la définition des secrets d’Etat, interdit à celles-ci de communiquer ces données aux Américains. En 2020, Washington envisageait d’exclure les entreprises chinoises refusant de se soumettre à ces audits, une question qui n’a pas été tranchée depuis.
D’après le Wall Street Journal, Pékin avait conseillé à Didi de re tarder sa levée de fonds. La société serait passée outre à ces mises en garde, pressée par ses investisseurs, fatigués par neuf ans à financer l’expansion de l’entreprise à perte, croit savoir le quotidien. Paradoxalement, la campagne de régulation des différentes agences chinoises a peut être poussé les entreprises à accélérer leur introduction aux EtatsUnis, avant un potentiel changement de règles, estime Duncan Clark, président du cabinet de conseil BDA China.
Les startup chinoises ont levé 7,9 milliards de dollars de fonds aux EtatsUnis en juin, un record depuis l’introduction d’Alibaba, en 2014, a compté Bloomberg. «Didi avait atteint son 24e tour de table, explique M. Clark. Plus généralement, on a l’impression que les entrepreneurs chinois étaient prêts à tout pour se lancer sur les marchés américains, alors que les introductions de ces derniers mois étaient plutôt décevantes. »
Pourquoi chercher une cotation à l’étranger à tout prix ? Wall Street reste le Graal pour beaucoup d’entrepreneurs chinois, à la fois pour le symbole et la qualité de ses investisseurs institutionnels, quand les marchés chinois, dominés par les boursicoteurs individuels peu éduqués, sont très volatils. Autre explication importante : une introduction en Bourse à l’étranger est un moyen efficace de faire sortir des sommes importantes. « Quand une entreprise est introduite aux EtatsUnis et que vous vendez vos actions, l’argent reste offshore… C’est une manière d’échapper au contrôle des capitaux », dit un investisseur chinois, qui préfère ne pas être cité parce que le sujet est « trop politique ».