Contrôle des données: Pékin met la pression sur la «tech»

2021-08-14 Off By dporgpd

En sanctionnant Didi, le Uber chinois, le gouvernement signale qu’une introduction à Wall Street ne suffit pas à échapper à sa poigne dans sa campagne pour controler les geants de la tech et leurs données, Pekin na que faire des dommages collatereaux  comme l’illustre la série d’annon­ces de l’Autorité chinoise de sur­veillance de la cybersécurité vi­sant Didi, leader local de la com­ mande de taxis : ouverture d’une enquête, interdiction faite à la société d’accepter de nouveaux uti­lisateurs et consignes données aux plates ­formes d’applications de retirer Didi de leur offre.

Pour les investisseurs qui ont acheté des actions Didi lors de l’in­ troduction à Wall Street, le 30 juin, ce sont près d’un milliard de dol­lars (847 000 euros) qui se sont en­ volés en une semaine. Pour l’en­treprise, c’est 17 milliards de dol­lars (14,4 milliards d’euros) de va­ leur qui sont partis en fumée. Si les détails des faits reprochés à Didi ne sont pas connus, outre un problème de « sécurité des don­nées », le contexte montre une campagne délibérée de Pékin avec deux objectifs : contrôler les don­nées des Chinois et punir les en­treprises qui cherchent à s’intro­duire en Bourse aux Etats­Unis.

Jusqu’ici, on aurait pu croire que l’affaire concernait seulement Didi, mais, lundi 5 juillet, deux autres start­up chinoises, qui ve­ naient de lever des fonds sur les marchés américains, étaient, à leur tour, visées par des enquêtes de l’agence chinoise de la cybersé­curité.

En toile de fond, un conflit entre régulateurs chinois et américain au sujet des groupes chinois cotés aux Etats-Unis

Dix mois après l’annulation à la dernière minute de l’introduction à la Bourse de Shanghaï et d’Hong kong d’AntGroup, la filiale finan­cière d’Alibaba, la pression sur les entreprises chinoises de technolo­gie n’a pas baissé. Après la fintech, le régulateur s’est attaqué aux pra­tiques anticoncurrentielles, pu­nissant notamment Alibaba d’une amende record de 18,2 milliards de yuans (2,3 milliards d’euros) et Didi d’une amende de 500 000 yuans. Depuis, la sécurité des don­nées est devenue la priorité des autorités chinoises : en juin, une nouvelle loi de cybersécurité a été adoptée, qui renforce la protection des données, interdit leur utilisa­tion à l’étranger, mais facilite leur accès par les autorités. « La Chine est en train de bâtir son système de sécurité des données.

C’est un pro­cessus en cours depuis 2017, mais jusqu’ici difficile à mettre en appli­cation : cela crée des problèmes pour le développement de l’intelli­gence artificielle et du big data, et pour les multinationales. Il y a une grande incertitude sur comment la Chine va appliquer ces règles, ex­plique Martin Chorzempa, spécia­liste de la Chine au Peterson Insti­tute for International Economics. En parallèle, Pékin cherche à déve­lopper ses propres marchés financiers, donc il n’apprécie pas de voir ses entreprises innovantes entrer en Bourse aux Etats­Unis plutôt qu’à Shanghaï ou Hongkong, où il contrôle mieux le processus et les données. Ces deux tendances com­ binées expliquent cette campa­gne », analyse le chercheur.

Secrets d’Etat

En toile de fond, un conflit entre régulateurs chinois et américain au sujet des groupes chinois cotés aux Etats­Unis. En effet, pour pro­téger ses investisseurs, Washing­ton veut avoir accès aux audits des entreprises, mais Pékin, qui ne cesse d’élargir la définition des se­crets d’Etat, interdit à celles-­ci de communiquer ces données aux Américains. En 2020, Washington envisageait d’exclure les entrepri­ses chinoises refusant de se sou­mettre à ces audits, une question qui n’a pas été tranchée depuis.

D’après le Wall Street Journal, Pékin avait conseillé à Didi de re­ tarder sa levée de fonds. La société serait passée outre à ces mises en garde, pressée par ses investis­seurs, fatigués par neuf ans à fi­nancer l’expansion de l’entreprise à perte, croit savoir le quotidien. Paradoxalement, la campagne de régulation des différentes agences chinoises a peut ­être poussé les entreprises à accélérer leur intro­duction aux Etats­Unis, avant un potentiel changement de règles, estime Duncan Clark, président du cabinet de conseil BDA China.

Les start­up chinoises ont levé 7,9 milliards de dollars de fonds aux Etats­Unis en juin, un record depuis l’introduction d’Alibaba, en 2014, a compté Bloomberg. «Didi avait atteint son 24e tour de table, explique M. Clark. Plus généralement, on a l’impression que les entrepreneurs chinois étaient prêts à tout pour se lancer sur les mar­chés américains, alors que les in­troductions de ces derniers mois étaient plutôt décevantes. »

Pourquoi chercher une cotation à l’étranger à tout prix ? Wall Street reste le Graal pour beaucoup d’en­trepreneurs chinois, à la fois pour le symbole et la qualité de ses in­vestisseurs institutionnels, quand les marchés chinois, dominés par les boursicoteurs individuels peu éduqués, sont très volatils. Autre explication importante : une introduction en Bourse à l’étranger est un moyen efficace de faire sortir des sommes importantes. « Quand une entreprise est intro­duite aux Etats­Unis et que vous vendez vos actions, l’argent reste offshore… C’est une manière d’échapper au contrôle des capi­taux », dit un investisseur chinois, qui préfère ne pas être cité parce que le sujet est « trop politique ».