Du big data au sein de la clinique universitaires Saint-Luc
Les cliniques universitaires Saint-Luc (UCLouvain) à Bruxelles sont en effervescence. Malgré la crise du coronavirus, malgré l’extrême fatigue du personnel, l’hôpital académique met en service ce week-end son “TPI2” ou trajet patient intégré et informatisé. TPI2, c’est le nouveau dossier médical informatisé du patient, mais c’est bien plus que ça. “C’est une vraie révolution, inédite en Belgique et même dans les hôpitaux francophones à travers le monde”, s’exclame Renaud Mazy, administrateur-délégué de Saint-Luc.
En 2012, l’hôpital a défini une stratégie de redéploiement en trois étapes, contextualise M. Mazy. “La première, c’est l’optimisation. On ne peut pas reconstruire un hôpital tel qu’il était avant. La deuxième, c’est de le doter d’une nouvelle colonne vertébrale digitale, c’est le TPI2. Et après seulement, quand vous avez repensé virtuellement l’hôpital, vous avez la capacité de le reconstruire physiquement. C’est la troisième étape.”
Quatre cents applications en une
Ces travaux de construction commenceront l’an prochain, avec “un nouvel institut de psychiatrie intégré et l’institut Roi Albert II, qui sera une sorte de Bordet, rassemblant oncologie et hématologie”. Quant à la nouvelle tour d’hospitalisation, bâtie sur dix étages, elle devrait être inaugurée en 2025 ou 2026. Budget total des travaux: 550 millions d’euros.
Voici à quoi ressemblera Saint-Luc en 2025. Mais l’architecture digitale de l’hôpital change dès ce week-end.
Mais pour l’heure, place à la révolution digitale. “Aujourd’hui, nous travaillons avec 400 applications différentes (pour le dossier médical du patient, la prise de rendez-vous, le courrier, le suivi des patients en soins intensifs, la radiologie, l’ophtalmologie, etc). Suivre le parcours du patient en interne est une gageure. La nouvelle plateforme digitale, fournie par la société américaine Epic Systems, un des leaders mondiaux du secteur, va remplacer ces 400 applications. Tout sera centralisé dans une seule base de données.” Précision : ces données seront stockées sur des serveurs internes à Saint- Luc.
Booster la recherche
Du point de vue du patient, “l’hôpital restera l’hôpital”, assure Renaud Mazy. “Le contact humain ne sera pas
remplacé, il aura la même expérience, sauf que son trajet sera facilité et qu’on ne lui demandera plus cinq fois les mêmes infos. Mais ce qui va être amélioré surtout, c’est sa sécurité. Entre l’entrée et la sortie du patient, on saura exactement tous les actes qui auront été réalisés et par qui, les résultats des analyses, les médicaments prescrits, le matériel utilisé en salle d’opération, etc. Il y aura une traçabilité extrême. Et s’il le souhaite, grâce à l’appli ‘Mon Saint-Luc’, le patient aura accès à son dossier (résultats des tests, rendez-vous, etc.) et pourra interagir avec les médecins et les infirmières.”
Mais l’aspect le plus révolutionnaire de ce projet réside ailleurs. “Certains diront peut-être: c’est juste un nouveau dossier patient informatisé, ce ne sont que quelques ordinateurs. Pas du tout. L’intérêt, c’est d’encore améliorer la qualité des soins et la sécurité des patients.
Le système permet aussi d’anticiper un infarctus trois à quatre heures à l’avance, avec une probabilité de plus de 50%. Cette option ne sera pas installée chez nous dès lundi, mais elle le sera par la suite.”
Enfin, le système donnera en temps réel des informations sur l’occupation de l’hôpital. Très utile en ces temps de pandémie. “On peut suivre les flux, anticiper une saturation, prévoir l’impact d’un retard au quartier opératoire, etc. Cela va fondamentalement changer notre monde.”
Un investissement sans précédent
La facture de cette nouvelle infrastructure digitale sera à la hauteur des bénéfices escomptés: 65 millions d’euros, payés quasi totalement sur fonds propres, auxquels il faut ajouter les 120 personnes (soignants, informaticiens, secrétaires, pharmaciens, etc.) qui travaillent en interne sur ce projet depuis deux ans. “C’est colossal, sans précédent en informatique hospitalière en Belgique. Mais c’est un investissement stratégique, à quinze ou vingt ans. Demain, il y aura une différence entre les hôpitaux qui auront investi de manière forte dans la digitalisation et l’intelligence artificielle, et les autres.”
Cet investissement intervient au moment même où la crise du coronavirus génère une prise de conscience, dans la population et chez les décideurs, de la nécessité d’investir dans la santé. “Maggie De Block, et plus encore Laurette Onkelinx avant elle, ont beaucoup coupé dans les moyens des hôpitaux, et encore plus des hôpitaux académiques (25 millions à Saint-Luc). Aujourd’hui, les gens réalisent à quel point le monde dans lequel ils vivent, même s’il semble merveilleux, peut basculer dans une ère de pandémies. Et que si on sous-investit dans les soins de santé, on fait face à des catastrophes. Nous attendons du ministre Vandenbroucke qu’il ne coupe plus dans les moyens et qu’il donne des perspectives.”