Le président de l’Autorité de protection des données

2021-06-12 Off By dporgpd

L’Autorité de protection des données – APD était sans doute inconnue pour la majorité des Belges avant la crise sanitaire. Mais depuis le début de la pandémie, l’instance qui a comme mission premiere de protéger les données privées est omniprésente dans les médias. Sous le feu des projecteurs donc, mais aussi sous le feu des critiques. Entre les suspicions de conflits d’intérêts, d’accointances politiques et les désaccords entre les membres de la di- rection, l’APD semble au bord de l’implosion.

Une situation complexe, avoue David Stevens, le président de l’APD. Ses sorties dans la presse francophone sont rares, mais il s’explique, pour “mettre les choses au clair”. L’homme veut aussi pointer les grands enseignements de l’année écouléerassem- blés dans un rapport annuel publié ce vendredi.

Le rapport annuel qui a été envoyé ce 11 juin à la Chambre des représentants est le premier depuis que l’APD a mis en place son plan stratégique. Le dossier marquant, c’est le Covid-19 ?
Oui, même si l’APD n’a pas exclusivement travaillé sur la crise sanitaire, la pandémie a nécessité l’usage et le traitement d’informations sensibles concernant les données privées des citoyens. Et nous avons donc été particulièrement actifs sur ces sujets. Mais soyons honnêtes, ce n’était pas quelque chose d’évident au départ. Quand, en mars 2020, nous étions confrontés au Covid, nous parlions quelques semaines auparavant d’une “petite maladie” qui allait vite passer. Finalement, c’est une pandémie mondiale et des questions très spécifiques nous ont été posées. Et il fallait répondre dans l’urgence, sans dire de bêtises. Aujourd’hui, ce sont des dossiers que l’on gère presque naturellement, mais à l’époque, nous étions à peine installés en tant qu’Autorité de protection des données (c’est le cas depuis fin 2019) que nous avions déjà des cas difficiles à traiter concernant, par exemple, l’usage des données des citoyens pour le traçage.

La pandémie, c’est donc “le dossier de l’année” ?
Clairement. Nous avons émis des dizaines d’avis sur les textes réglementaires concernant la gestion de la crise. L’audit de la Cour des comptes pointe notamment le manque de proactivité de l’APD dans ces activités. Mais c’est faux et la façon dont nous avons traité la crise sanitaire le prouve.

Quels sont les exemples qui le démontrent ?
Ils sont nombreux puisque nous nous inscrivons dans une logique où nous souhaitons prévenir plutôt que guérir. En d’autres termes, nous voulons agir en amont, pour éviter de réprimer en aval. Un exemple: lorsque Brussels Airport a instauré un instrument pour mesurer la température des citoyens, a priori sans aucun cadre pour le respect des données, nous avons agi de façon proactive. Un autre exemple plus parlant encore concerne les caméras qui avaient été installées à la Côte belge pour mesurer l’affluence de la population. Nous avons directement pris le dossier en main, le suivi a d’ailleurs été complet puisque des sanctions ont été prises. Je conteste donc cette critique de la Cour des comptes concernant notre manque de proactivité. L’APD travaille, analyse et informe les citoyens et les entreprises sans relâche et pas uniquement sur la base d’une sollicitation.

La Cour des comptes estime que l’APD est “moins performante” que ses équivalents européens. En cause, notamment, le manque de moyens. Vous manquez de ressources ?
Financièrement, les budgets sont dans la moyenne européenne. Mais concernant les ressources humaines, nous manquons effectivement de personnes, en particulier d’experts. C’est cela que pointe l’audit de la Cour des comptes. Par contre, nous ne sommes pas “moins performants”. Nous avons surtout énormément de dossiers à traiter et du personnel limité. C’est la Chambre qui nomme les personnes au sein de l’APD et décide de notre cadre et notre budget. La Chambre pourrait donc nous aider à combler ce déficit en nous permettant d’engager plus de personnes.

La Commission européenne vous a, ce mercredi, officiellement mis en demeure pour non-respect du RGPD. L’APD ne respecte donc pas les règles qu’elle défend, c’est un peu étrange, non ?
Non, ce n’est pas exactement cela. Cette question concerne des potentiels conflits d’intérêts qui existent au sein de l’organisation et particulièrement des membres de l’APD. Pour le dire autrement, la question se pose sur la légalité des 12 membres externes au sein de l’APD. Sauf que c’est la Chambre des représentants qui a nommé ces membres, et c’est donc à la Chambre des représentants de répondre à cette mise en demeure, et non à moi ou au comité de direction. Je n’ai pas de décision personnelle à donner.

La mise en demeure de la Commission européenne concerne notamment Bart Preneel et Frank Robben. S’ils quittent l’APD, le problème sera-t-il “résolu” ?
Je veux d’abord préciser un point fondamental: Frank Robben et Bart Preneel sont des membres externes et non des membres de la direction. On a tendance à croire qu’ils ont un poids considérable dans toutes les décisions de l’APD; c’est une exagération, car ce sont les cinq membres de la direction qui dirigent ensemble l’APD, et non Robben ou Preneel.

Des membres externes qui, malgré tout, semblent poser problème en interne…
L’audit de la Cour des comptes évoque un point important à propos des avantages et des inconvénients que pose la
présence de tels profils. Bart Preneel et Frank Robben sont des vrais experts dans leurs domaines respectifs. Le professeur Preneel est réputé pour ses travaux sur la cryptographie dans le monde entier, son expertise est une véritable opportunité pour la Belgique. Sa présence au sein de l’APD se concrétise par des réunions pour lesquelles il reçoit un jeton de présence d’une centaine d’euros. C’est donc un avantage qui ne coûte rien ou presque. Si l’APD doit se défaire d’une telle expertise, elle devra engager un expert rémunéré et dont le coût sera bien supérieur à celui d’un jeton de présence. Ce que dit la Cour des comptes, c’est que la présence d’experts de ce genre est

donc un avantage et un inconvénient. La question est à mon sens de savoir s’il y a une incompatibilité à avoir d’autres casquettes et d’être en même temps à l’APD. C’est en répondant à cette question que l’on pourra dire si le problème sera résolu.

Vous êtes le président de l’APD. Selon vous, Bart Preneel et Frank Robben doivent-ils être maintenus au sein de l’équipe? Est-ce peut-être à vous de quitter l’institution puisque, vous aussi, vous avez été la cible de critiques… Les critiques me concernant sont infondées. Je ne crois pas que mon départ soit la solution, je ne fais pas partie du problème, je ne suis pas pointé par la mise en demeure de la Commission européenne. Pour les autres cas, je réserve ma réponse à la Chambre des représentants (rire). Je sais comment fonctionne l’APD et je sais ce qu’il faut y faire. Mais ma réponse, c’est à la Chambre que je la donnerai. Certes, je suis indépendant, la Chambre n’est pas ma hiérarchie, mais c’est elle qui m’a nommé et c’est donc à elle que je réserve ma réflexion en la matière.

Toujours à propos des critiques à votre encontre, le Parlement flamand ne vous sollicite plus pour une demande d’avis depuis août 2019. Certains, au sein même de l’APD, estiment que vous êtes responsable de cette situation, que vous essayez de faire de l’APD une “coquille vide”, au bénéfice de l’instance régionale flamande…

J’ai lu et entendu ces allégations qui, à en croire ce que je vois, donneraient l’impression que j’ai une sorte de pacte ou un accord secret avec Jan Jambon. Tout cela est faux et il y a des éléments factuels qui viennent contre- dire ces accusations. De nombreuses lettres et courriers ont été envoyés aux autorités flamandes pour leur notifier leur obligation de solliciter l’APD pour rendre un avis sur les textes législatifs. C’est une obligation inscrite dans la Constitution. Mais les autorités flamandes refusent. Certes, ils ont le droit de solliciter l’organe régional flamand, mais ils ont l’obligation de solliciter l’APD. Nous étudions la possibilité de saisir soit le Conseil d’État, soit la Cour constitutionnelle pour que la question soit tranchée. Nous cherchons encore la voie la plus pertinente, mais il est clair que nous ne restons pas inactifs face à cette situation que, je le répète, je n’ai pas orchestrée.

Et concernant les dysfonctionnements internes ?

Concernant ce point, je tiens à signaler une chose : oui, il y a des tensions entre les différents membres, mais lors de réunions, nous arrivons à trouver des solutions ensemble. Il y a des critiques évoquant des frictions entre francophones et néerlandophones, entre femmes et hommes, il n’y a rien de tout cela. Mais il y a des choses qui ne vont pas, c’est un fait. À mon sens, il faudrait instaurer un code de conduite pour les directeurs. Ce que je déplore, c’est un manque d’esprit de loyauté. Certains souhaiteraient voir cinq membres de la direction désunis, je pense, au contraire, que notre plus grande force, c’est d’agir et de réfléchir ensemble.