Les députés s’inquiètent de l’absence de contrôle sur les échanges des données privé entre pays
Renseignement: un rapport parlementaire demande que les termes de la coopération entre services secrets français et étrangers soient débattus en 2021.
Le Parlement, d’habitude si obéissant aux volontés de l’Etat en matière de renseignement, aurait il, d’un coup, des envies d’autonomie de pensée ? Le rapport de la délégation parlementaire au renseignement (DPR), publié le 28 septembre, au contenu plutôt classique, comporte, en effet, une revendication légitime qui fait gronder l’exécutif et le Ministère de l’intérieur
Elle demande qu’une partie du voile soit levée sur une activité qui échappe, à ce jour, à tous les regards et à la loi: l’échange de renseignements entre services secrets français et étrangers. La DPR veut que cette question soit débattue, en 2021, dans le cadre de la réforme de la loi sur le renseignement votée en 2015. Le gouvernement, lui, bloque toute évolution du système actuel et en tend n’y apporter que des modifications formelles.
L’enjeu n’est pas mince. Car si, dans le passé, cette coopération entre services se limitait à des informations émanant de sources humaines ou des documents écrits, elle porte aujourd’hui, révolution technologique oblige, sur des images satellites et surtout sur des centaines de millions de données brutes de communication collectées depuis les câbles de fibre optique qui quadrillent les océans et les continents. La DPR rappelle que, parmi ces données échangées, nombre d’entre elles appartiennent, en réalité, à des citoyens français dont la vie privée et les droits se retrouvent, d’un coup, sans aucune protection.
« Légitime de s’interroger »
« Une réflexion mériterait d’être engagée sur le statut des renseignements techniques obtenus grâce aux partenaires étrangers lorsqu’ils concernent des citoyens français », dit la DPR qui révèle, au passage, que « faute de capacités techniques suffisantes, les services français bénéficient de l’assistance de ces partenaires pour collecter ou exploiter des renseignements techniques ». Ces données françaises, dit le rapport, se trouvent aussi bien dans les « flux entrants » en France que dans les « flux sortants » vers l’étranger. Dans les deux cas, aucun mécanisme ne peut prévenir l’éventuel contournement de la loi française en matière de conservation ou d’exploitation de ces données.
La DPR choisit ses mots et prend garde de ne pas heurter de front l’Etat et ses services. Mais elle semble regretter que la loi de 2015 ait exclu ces échanges de toute forme de surveillance, à commencer par celle de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Si le rapport estime que, «pour l’heure, il serait peu opportun d’inscrire dans la loi » l’encadrement de ces échanges, il indique, néanmoins, « qu’il est légitime de s’interroger sur le niveau de protection des droits des citoyens nationaux et des individus résidant sur notre territoire ».
Entendu à l’Assemblée le 23 janvier par la mission d’information sur la loi renseignement de 2015, Pierre de Bousquet de Florian, ex coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT), remplacé de puis par Laurent Nunez, avait déjà récusé l’extension du contrôle de la CNCTR à ces échanges. Selon lui, cette coopération est un élément central de la protection du pays et modifier les règles actuel les fragiliserait la sécurité nationale en stoppant ces échanges pour non respect de la règle dite « du tiers service » qui impose à chacun de ne jamais révéler l’origine de la source.
Son successeur a indiqué à la DPR qu’un « cadre plus formalisé » serait mis en place. Alors qu’aujourd’hui, seuls les chefs des services de renseignement ont connaissance de ces accords d’échanges avec des homologues étrangers, le feu vert serait désormais donné au niveau du ministre de tutelle. Par ailleurs, « une charte fixant les principes de ces échanges » est en cours de rédaction à la CNRLT pour harmoniser les pratiques des services français. Enfin, cette coopération pourrait être stoppée si le pays du service partenaire ne respecte pas les règles démocratiques de la collecte de renseignement.
La DPR souligne, enfin, le risque juridique du défaut de contrôle de cette coopération. « L’absence complète d’encadrement légal des échanges met la France en infraction avec la Convention européenne des droits de l’homme [CEDH] », note son rapport. L’arrêt Big Brother Watch, du 13 septembre 2018, rendu par la CEDH après un recours britannique, indique que « le droit interne doit, afin d’éviter les abus de pouvoir, énoncer les circonstances dans lesquelles il est possible de demander à des services de renseignement étrangers des éléments interceptés ».
Auditionné à plusieurs reprises par l’Assemblée, le président de la CNCTR, Francis Delon, a plaidé pour que la loi de 2015 soit amendée afin de disposer d’un droit de regard sur ces masses de données échangées avec les services étrangers, comme cela existe en GrandeBretagne ou en Allemagne. Le 19 mai, la Cour constitutionnelle allemande a estimé que le contrôle de ces échanges d’interceptions devait même être renforcé au niveau national. Interrogée, la présidente de la commission des lois, Yaël Braun Pivet (La République en marche), membre de la DPR, avait indiqué: «Il n’y a pas de tabou, il n’y a rien qui ne se regarde pas. »