Les petites magouilles du président l’Autorité de protection des données
L’ex-Commission de la vie privée serait devenue « inopérante », dénoncent deux directrices dans un courrier adressé au Parlement. En cause : les agissements jugés « graves » de son président, David Stevens.
Nos données personnelles, utilisées notamment par les entreprises, associations, institutions ou administrations, sont-elles bien protégées ?
En Bel- gique, c’est l’Autorité de protection des données (APD), qui est chargée de s’en assurer. Mise en place en mai 2018 dans la foulée du Règlement général sur la protection des données, cet organisme a pris le relais de l’ex-Commission de la vie privée. A la différence que ses compétences et ses pouvoirs se sont nettement élargis, y compris en matière de sanctions.
L’APD réussit-elle à jouer son rôle ?
Pour deux des 5 membres de son comité de direction, la réponse est «non». Alexandra Jaspar (Directrice du centre de connaissances de l’APD) et Charlotte Dereppe (Directrice du service de 1ère ligne) ont tiré la sonnette d’alarme dans un courrier accablant adressé, le 9 septembre, au président de la Chambre, aux chefs de groupes et aux députés de la commission Justice. Les deux responsables font part de leurs « profondes inquiétudes » Le courrier est sans ambiguïté : « La gravité des événements, leur répétition et le profond désaccord entre dirigeants de l’APD quant à la manière
de les aborder nous amène à nous tourner vers vous qui exercez la tutelle
sur l’APD. Après avoir échoué à plusieurs reprises à régler cette situation en interne et face au constat que l’APD n’est plus en mesure de remplir sa mission de manière indépendante, nous estimons qu’il est de notre responsabilité de tenir le Parlement informé de la situation et de l’inviter à prendre les mesures adéquates ».
« Un organe inopérant »
Et parmi ces mesures, celle-ci : « Au vu des manquements graves à son devoir d’indépendance (…), soumettre Monsieur Stevens à la procédure de levée de son mandat (…) ». David Stevens, soit l’un des 5 directeurs de l’APD, mais qui en assume surtout la présidence. Que lui reprochent les deux directrices ? Globalement, de « dépouiller l’APD de ses prérogatives » et d’en faire « un organe inopérant ». Rien de moins.
Le courrier fait, notamment, état « d’agissements problématiques » dans le chef de David Stevens, comme le fait d’utiliser « ses pouvoirs et moyens pour conclure des arrangements avec des personnes tierces », ce qui amène « l’APD à agir en contrariété avec la loi ». Le président de l’Autorité passerait « outre les décisions prises en comité de direction ». Notamment afin d’octroyer « des traitements de faveur, outrepassant ses compétences ». Ce fut le cas, relève le courrier, « au moins à deux reprises », dans des affaires impliquant « des personnalités influentes ». En vrac, tant la liste est longue, il est aussi reproché à David Stevens d’exercer une « forme de travail d’usure du comité de direction sur des questions visant à réduire les compétences de l’APD via des arrangements illégaux », de faire appel à des consultants externes pour « confirmer la légalité» de certaines de ses actions pourtant « remises en question par le comité de direction ».
Ou encore, d’avoir placé l’APD et ses codirecteurs «dans une situation évi- dente de conflit d’intérêts ».
En cause : le fait que David Stevens participait à la « taskforce » mise en place par l’ex-ministre Philippe De Backer dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire sur la question du traçage. Et dont les décisions devaient être soumises, pour avis, à l’autorité qu’il dirige lui-même. Ces doutes sur l’indépendance de l’APD avaient déjà été dénoncés dans une lettre ouverte de la Ligue des droits humains, le 23 juin dernier.
Audition à huis clos
Mercredi prochain, la commission Justice de la Chambre procédera à une audition à huis clos des 5 directeurs de l’APD.
David Stevens « nie formellement les accusations à son encontre », soulignant qu’il s’agit de « faits supposés », où « aucun commencement de preuve n’est fourni ». Contacté, le président de l’APD nous confie en outre: «Malheureusement, je ne peux nier les tensions au sein du comité exécutif. Elles seront bientôt traitées par la Chambre avec la confidentialité nécessaire. Je ne juge donc pas approprié de répondre maintenant aux déclarations. Je suis convaincu que le Parlement traitera ce dossier de manière sereine et prendra les mesures appropriées pour rétablir la paix. »
Contactées également, Alexandra Jaspar et Charlotte Dereppe ont réagi par mail : « Nous avons adressé un courrier confidentiel au Parlement. Nous regrettons que celui-ci ait fuité. Nous n’avons pas de commentaires à ce stade, nous nous exprimerons devant les députés. » Dans leur courrier commun, les deux directrices affirment toutefois être en mesure de fournir «tous les documents confirmant les agissements graves» qu’elles dénoncent.