Sous traitant qui ne respecte pas le RGPD

2022-03-17 Off By dporgpd

De plus en plus d’étudiants sont priés, pour passer leur test d’anglais sur ordinateur, de filmer leur écran et même leur chambre, et de livrer des données personnelles à la société privée qui opère. Un procédé «intrusif» et «discriminant», dénoncent des étudiants.

X dépose son ordinateur sur son bureau et place son téléphone pour qu’il puisse surveiller son écran. Elle désactive son antivirus, lance le navigateur Google Chrome et active sa webcam. Avant cela, elle a filmé avec son smartphone l’intégralité de la pièce dans laquelle elle se trouve. Elle montre une pièce d’identité à la caméra, puis vérifie que ses oreilles sont bien découvertes. Sur le bureau, ni eau ni nourriture. Elles ne sont pas autorisées.

En cette journée de janvier, l’étudiante en troisième année de tourisme et culture passe à distance son certificat d’anglais, le TOIEC. Et la rigueur de la surveillance de l’examen l’inquiète. «Tu es filmée par webcam durant tout le test, tu dois également filmer ton écran d’ordinateur avec ton téléphone. C’est une intrusion dans ton environnement personnel.»

Depuis 2021, le passage d’une certification en anglais est indispensable pour obtenir une licence universitaire, et le ministère a délégué aux universités le soin d’organiser et choisir ces tests. La sienne a opté pour le TOIEC, reconnu mondialement et édité par l’entreprise ETS Global. Pour assurer la «sécurité» de l’épreuve, ETS a recours à une solution développée par l’entreprise néerlandaise Proctor Exam, un logiciel également utilisé à la Sorbonne Université, à l’université de Nantes ou à celle de Lorraine.

En troisième année de licence à l’université de Metz, ils sont à l’origine d’une pétition (plus de mille signatures) contre ces modalités de passation du TOEIC, épreuve qu’elles doivent affronter à la mi-mars. En amont, elles ont reçu dix pages listant les consignes: avoir une connexion internet, un ordinateur (sauf tablette ou Chromebook), un certain niveau de mise à jour des systèmes d’exploitation (Windows et Mac OSX), ainsi qu’un smartphone autre qu’un Huawei P30 ou un Samsung Galaxy A3.

«C’est discriminant,se désole X. Tous les étudiants n’ont pas d’ordinateur ou de smartphone, alors en plus quand il faut des modèles et des niveaux de mise à jour précis…»

Lors du passage de l’examen, X, l’étudiante angevine, a accueilli, chez elle, une camarade de promotion qui n’avait pas Internet. «Elle voulait le passer à la bibliothèque mais c’était impossible, car les modalités du test interdisent de le passer avec des écouteurs.»

Quelques jours après l’épreuve, X a reçu un mail expliquant que son test n’était pas validé, car elle n’aurait pas respecté la procédure. «La majorité des gens de ma promo ont reçu le même mail. Je suppose que c’est parce qu’ils ont vu qu’une camarade était à côté.» Elle n’a, pour le moment, pas eu d’explication officielle.

Au-delà des multiples contraintes, les étudiantes s’inquiètent de l’usage des images filmées et récoltées sur leur ordinateur. Dans un document intitulé «Privacy Note», ETS Global liste les informations collectées: nom et prénom, adresse mail, pièce d’identité, captures d’écran de l’ordinateur, enregistrement par webcam du visage et de l’environnement… Certaines de ces données peuvent être conservées pendant deux ans et demi en cas de suspicion de fraude.

Ce document déconcerte Soufian, DPO et informaticien «Je m’interroge sur la légalité de la durée de conservation en cas de suspicion de fraude, car ce n’est pas à un sous-traitant de conserver les données en cas de procédure administrative ou judiciaire ouverte, mais à l’université directement.» Sollicitée, l’entreprise ETS n’a pas répondu à nos questions.

Le DPO questionne aussi le consentement des étudiantes à la collecte de ces données, qui doit être libre, «c’est-à-dire ni contraint ni influencé», selon une note de la Cnil. L’est-il lorsque le passage du certificat conditionne l’obtention du diplôme? «Pas à partir du moment où l’université propose une vraie alternative au passage en distanciel»,juge Soufian.

«Désolée» de la situation, Sabine Chaupain-Guillot, vice-présidente du conseil de la formation de l’université de Lorraine, plaide en ce sens. «Je vous invite, pour des raisons logistiques, à privilégier la passation à distance, mais, parce que les étudiants sont en droit de la refuser, à prévoir également des séances en présentiel»,écrit-elledans un mail adressé aux différentes composantes de l’université.

Mais à en croire une enseignante, organiser l’examen sur le campus serait un casse-tête logistique: «Seuls les enseignants habilités à certifier par ETS Global peuvent faire passer cette certification et ils sont trop peu nombreux.»

Un de ses collègues regrette au fond la privatisation de ces tests, alors même qu’il existe un outil développé par le ministère, le Certificat de compétences en langues de l’enseignement supérieur (CLES) (lire notre enquête sur cette privatisation).

Les étudiant·es, pour leur part, rappellent être pieds et poings liés par cette nécessité de passer le TOIEC. «Je suis totalement contre le fait qu’on filme mon environnement privé et qu’une entreprise garde mes images pendant plusieurs mois, mais est-ce que je suis prête à risquer ma licence?,s’interroge Camille. Je ne pense pas.»