Vie privée menacé en Belgique
Des caméras qui cible une categorie de personne
Courez, vous êtes filmés.» Tel pourrait être le slogan – ou le message d’avertissement – de l’expérience pilote menée par la ville de Louvain et l’administration régionale Sport Vlaanderen, appelée «Smart Sporting Cities ». Le principe ? Jusqu’en 2024, des caméras dites « intelligentes » installées depuis peu dans deux espaces publics urbains vont filmer et analyser les pratiques sportives des habitants en extérieur. Et ce dans le but, disent ses promoteurs, d’améliorer les politiques publiques de sport en plein air.
C’est au Park De Bruul, en bord de Dyle – et où il n’y a en ce vendredi nuageux aucun candidat pour se dépenser sous l’œil des 7 caméras blanches récemment installées pour l’occasion – que l’échevin des Sports Johan Geleyns évoque le nouveau projet dans lequel sa ville a investi 25.000 euros (en plus de 80.000 euros déboursés par Sport Vlaanderen). «Combien de personnes font usage des infrastructures dans le parc? Quels sont leurs mouvements? Marchent-elles, courent-elles? Sont- elles seules, ou en groupe ? Quels sont les horaires d’usage des infrastructures utilisées ? Cela fait partie des questions que l’on veut poser avec cette expérience pour adapter notre politique », embraye-t-il.
Pouquoi faire ?
Sur ce site où sont déjà installés des terrains de football et de basket-ball ou encore des équipements de « street work-out », « peut- être qu’on va voir que les gens viennent faire d’autres sports, comme du badminton. Les sports urbains sont aussi très populaires, on verra peut-être que les gens viennent ici faire du skate », entrvoit déjà l’échevin, évoquant de possibles nouveaux aménagements. « L’idée, c’est d’améliorer, améliorer, améliorer. » Et si possible, poursuit-il, d’inspirer d’autres villes au terme de l’expérience pilote.
D’ici là, les caméras installées par la firme ayant remporté le marché public (Chronos Public Services) filmeront et analyseront en permanence tous les mouvements qui passeront sous leur regard. Mais pas sans garde-fou, précise d’initiative l’échevin : « Pour le collège, la protection de la vie privée est une priorité. Il y a un module dans les caméras : elles filment les mouvements, mais il n’y a en réalité aucune image qui quitte les caméras, c’est important de le préciser. Toutes ces images sont automatiquement transformées en données et en chiffres. » Lesquels seront ensuite analysés seuls. De surcroît, avance-t-il, les risques inhérents au projet seront analysés tous les semestres par les « Data Protection Officer » de la ville de Leuven et de Sport Vlaanderen.
De sérieuses réserves
Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette confiance dans le dispositif n’est pas unanimement partagée. Certains titres de presse flamands évoquant une pratique « à la Big Brother » tandis que dans l’opposition locale louvaniste, l’Open VLD et le PTB se sont inquiétés de ses incidences en matière de vie privée. Des craintes remontées au niveau fédéral par l’entremise du député libéral Patrick Dewael ont par ailleurs été ex- primées en séances plénières jeudi dernier. Sans trancher sur le sujet, le secrétaire d’État à la Protection de la vie privée, Mathieu Michel (MR), a admis dans l’hémicycle «qu’entre le fait de placer des caméras qui veillent à la sécurité des citoyens et le recours à des caméras qui doivent analyser les mouvements des citoyens, le saut paraît très grand ».
Depuis que l’initiative a été mise en lumière, elle suscite surtout le regard suspicieux de l’APD, l’Autorité de la protec- tion des données. David Stevens, président du gendarme belge de la vie privée, nous assure ainsi qu’un courrier a été envoyé en fin de semaine aux autorités responsables en vue de leur réclamer des explications sur la base légale du projet. A l’écouter, les craintes existantes quant à l’usage qui sera fait du dispositif n’ont pas encore été évacuées. « Sur le site du projet, il est par exemple dit qu’on allait pouvoir voir pendant combien de temps une personne fait du sport. Cela demande un recours à une sorte d’identification. Ça nous interpelle », illustre-t-il. « En tant qu’autorité, on demande à ce stade plus d’information. On ne dit pas que ce qui est mis en place est illégal, mais si on ne pensait pas que c’était sérieux, on n’aurait rien fait. » Plus largement, le patron de l’APD se dit préoccupé face à ce qui apparaît comme un recours croissant à des technologies d’analyses d’images dans l’es- pace public. « Souvent, on voit que sous le prétexte de ce “n’est qu’un test”, des responsables de traitement de données prennent des initiatives qui sont peut- être amenées à perdurer », dit-il. « On a aussi de plus en plus de doutes sur l’évolution générale de la société en ce qui concerne l’utilisation des caméras. On a un rôle à jouer pour ralentir ce basculement vers une société de surveillance. »
En cas d’absence de réponses probantes de la part des responsables de « Smart Sporting Cities », le président laisse ouverte la possibilité de voir le dossier amené devant la chambre du contentieux de l’APD, son organe administratif capable d’adresser des sanctions. Lequel a déjà récemment rappelé à l’ordre Westtoer, opérateur public provincial à l’origine d’un projet visant à déployer un grand nombre de caméras à la côte belge en vue de comptabiliser la foule présente sur place, dans le cadre du contrôle sanitaire.